lundi 30 avril 2018

26. Traversée réflexive de la Russie orientale



Depuis l’entrée de justesse en Russie dans la nuit du 27 au 28, un silence blogue s’est imposé. Non par raison politique, mais par dynamique éco-réflexive: pas de wifi pour Gaston, banque de jours épuisés pour Michel et vastes étendues de Russie asiatique plates et monotones.

De plus, c’est la fin de l’hiver. Le gros et le boueux l’emportent. Ils font ressortir le blanc des forêts de bouleaux, parsemées de nombreux arbres morts et pas entretenus. Pas d’oiseaux ni d’animaux en vue. Les rares espaces habités traversés projettent de petites datchas en bois fatiguées, dont les plus solides sont en pièces sur pièces.

Dans les agglomérations plus importantes, beaucoup de bâtiments en béton sont en ruines. La vue à raz de terre de ce long couloir ferroviaire fait entrevoir une partie de pays plutôt en état de survie que de développement. Mais nous ne sommes pas venus pour consommer du panorama. Et en choisissant le sens Est/Ouest, nous savions que nous allions avoir un paysage peu distrayant et propice à la réflexion. Nous sommes donc bien servis après l’avalanche d’informations de la Chine, toutes nouvelles pour nous.

Michel au travail
Michel se concentre sur son histoire de vie et son projet de « transformatiologues », entre autres avec la lecture Homo deus. Une brève histoire de l’avenir, de Yuval Noah Harari. Gaston poursuit son initiation à la voie Teilhardienne de dialogue avec le monde par la lecture de l’autobiographie spirituelle de Teilhard et celle de Lire Teilhard par Bernard Honoré.

Nos échanges sont très stimulants. Ils sont d’autant bienvenus que la cabine est petite, peu chauffée et le confort très rudimentaire. Le train date des années 50. Et la seule ressource gratuite est une bouilloire d’eau chauffée au bon vieux charbon, à enjamber pour rejoindre ce qui tient lieu du restaurant du train. Nous sommes quasi les seuls clients. Ce qui a permis à Michel d’améliorer son russe.

Dans une heure nous arrivons à Moscou, la veille du premier mai, fête des Travailleurs. Nous nous promettons d’aller la fêter sur la Place Rouge, sans oublier que c’est aussi la fête de Joseph de Nazareth, patron des travailleurs et... des voyageurs, selon nous. On en profite pour saluer les Josephs connus, en particulier celui de L’Oratoire, Joseph Nogue, Joseph Avril et même Jean-Joseph Berras, pour Gaston.

samedi 28 avril 2018

25. Des bouleaux, des bouleaux, des bouleaux


(NDLR: Résumé d'une conversation téléphonique entre Sibérie et Montréal)

Le transmongolien
Voix enrouée. Ils ont eu froid. Le paysage doit ressembler à la route 113 entre Val-d'Or et Chibougamau. Sauf que les épinettes ou les sapins sont remplacés par des bouleaux et que c’est 12 fois plus long. Ils ne pourront pas faire de blogue avant d’arriver à Moscou lundi. Alors, ils réfléchissent, chacun de son côté. Michel médite sur son histoire de vie tandis que Gaston note ses pensées.

Deux fois par jour, ils peuvent se nourrir à la voiture-restaurant : petit-déjeuner et repas du soir. C’est meilleur qu’en Chine, mais c’est payant. Côté chinois, le repas, inclut dans le prix du billet, était composé de riz et de poulet. Autant dire que ces messieurs soignent leur silhouette !

vendredi 27 avril 2018

24. Passage nocturne... de justesse en Russie



N'ayant pas de changement d'essieux à effectuer, on s'attendait à un passage rapide et simple vers minuit. La sortie de Mongolie se déroule sans histoire. Mais l'entrée en Russie se trouve soudainement bloquée par l'irruption dans notre cabine de plusieurs policiers accompagnés d'un chien. On finit par comprendre que notre visa prévoit notre entrée le 30 alors que nous ne sommes que le 27/28 avril. Impossible d'entrer, ordre de descendre avec tous nos bagages... Gaston, déjà en pyjama, doit se rhabiller et descendre de la couchette d'en haut.

Non seulement on ne peut pas passer, mais en plus, on doit retourner en Mongolie pour y attendre le 30. Pour ne pas faire empirer la situation, nous restons calmes, sous cette avalanche d'imprévus qui déprogramment fortement le voyage. Les bagages rassemblés, y compris les pantoufles de Gaston, grâce à l'attention de Michel, nous descendons fortement encadrés et nous nous dirigeons vers le poste frontière sous le regard interrogateur des autres passagers. Une enquête serrée commence avec Michel sur l'ensemble de notre trajet mais remonte aussi sur toute sa vie personnelle et familiale y compris sur la nature de son travail. On vérifie si l'on a assez d'argent pour les nuits d'hôtel en Mongolie.

Pendant ce temps le jeune policier ayant détecté notre infraction s'est retiré avec nos passeports après nous avoir demandé d'enlever le plastique de protection transparent dont les fonctionnaires du visa nous avaient fait cadeau. La situation est plutôt tendue. Le futur n'étant plus assuré, le présent devient de plus en plus chancelant, ayant cru que le pire était dans le passé.

Le chef policier réapparaît et nous demande les formulaires d'immigration remplis à la sortie de la Mongolie... et égarés dans la débâcle. On réussit à les retrouver. Et, miracle, il les tamponne et nous dit de remonter dans le train qui heureusement est encore là.

Le ménage ayant déjà été fait dans notre cabine, on a droit à des draps tout neufs et heureusement de nouvelles couvertures car l'accueil de la température est encore plus froid que celui des autorités. La neige n'est pas complètement fondue. Le lac Baïkal, encore glacé.

Et le Transmongolien devenu Transsibérien reprend sa route dans la nuit... avec nous dedans! 

jeudi 26 avril 2018

23. Désert de Gobi : hourra!


Michel devant une yourte à touristes.

Nous connaissons tous un mot mongol: uranus (hourra). C’était le cri de guerre des Mongols transmis par les Cosaques (Mongolie Lonely planet p. 256).

Paradoxe, car le désert de Gobi traversé par le train, ce jeudi matin le 26, laisse plutôt bouche bée. D'abord, il a fallu changer les essieux du train. Ce qui a pris au moins trois heures au début de la nuit car l'écartement des rails russes est plus large que celui de la plupart des autres réseaux: 1m52 contre 1m43. On aurait aimé voir l'opération. Mais interdiction de sortir. On l'a seulement ressentie par les chocs.

Ensuite, en route pour la traversée de la Mongolie. Plutôt dans le sens de la largeur sud-nord que de la longueur est-ouest. Ça va quand même prendre la journée car elle fait trois fois la France et donc plus de la moitié du Québec. Elle a 3 millions d'habitants. Économiquement depuis les années 2000 on parle d'un grand bon en avant avec l'exploitation de mines de cuivre, d'or et de charbon.

Ce ne va pas sans poser des problèmes écologiques pas toujours traités pacifiquement. Un gardien de troupeau a mis sur pied un groupe appelé "nation de feu". Il est considéré comme un éco-guérillero des steppes.

La Mongolie regroupe de nombreuses ethnies dont les Bouriates. C’est un peuple nomade frontière entre la Chine et la Russie, l'Orient et l'Occident. L'esprit de Gengis Khan n'est pas mort.  

La capitale que l'on traverse s'appelle OULAN BATOR. On y retrouve encore les fameuses yourtes. Sinon le désert est parfois animé par de beaux faucons et aigles des steppes. On entrevoit quelques troupeaux de gazelles. 

On s'achemine, confiants, vers la frontière de Russie, on pense que le plus dur est fait. Une surprise nous y attend... À demain ! 

Une jeune collègue, Véronique Boy, s’est penchée sur la difficulté d’intégrer à l’école les enfants d’origine étrangère. Russophone, elle en a fait une thèse de doctorat intitulée S’éduquer en Bouriatie. La Bouriatie est le territoire où les Bouriates transhumaient. Entre frontière mongole et lac Baïkal, une République de Bouriatie existe dans la fédération russe. Selon Véronique Boy, c’est un lieu où « l’espace et le temps, deux dimensions importantes de l’éducation tout au long de la vie, sont des éléments clés de l’éducation nomade des enfants ».

mercredi 25 avril 2018

22. Départ de la grande traversée, 2e partie du voyage



Ça y est! Ce matin à 7h27, le train part de la Beijing Railway Station pour Moscou: arrivée prévue le 30 avril. Et nous sommes dedans! Ce qui a failli ne pas être le cas.

Hier, en revenant des Ordos en avion, on a manqué la correspondance à Harbin, ville de l'extrême nord de la Chine par laquelle on nous a fait passer. Ce qui semble bien être une erreur d'aiguillage. Elle aurait pu nous coûter très cher si nous n'avions pu prendre un autre avion à 17h00 pour arriver à l'hôtel à 21h00 et pouvoir partir le lendemain à 6h30. Toute l'organisation de notre 2e partie de voyage aurait sauté! À commencer par trouver une nouvelle date pour prendre ce train, qui ne part pas tous les jours.

Cela aurait été moins grave que ce qui s'est passé à Harbin avec les Japonais: ces derniers avaient organisé une base expérimentale de guerre bactériologique à partir d'expériences atroces sur des milliers de Chinois. Les Américains ont accordé l'impunité aux responsables en échange des données recueillies. Sans la découverte du charnier et les efforts d'un journaliste japonais dans les années 80, l'existence de ce monstrueux Centre de recherche serait restée inconnue.

Nous sommes donc dans le Transmongolien Beijing-Ulan-Bator, capitale de la Mongolie. Il rejoint le Transsibérien à Oulan-Oude en Russie. Le Transsibérien date de 1916 et le Transmongolien de 1956.

Notre train doit dater de cette période, si on en juge la locomotive électrique et les compartiments des voyageurs. Nous sommes privilégies: nous sommes en première classe, ce qui veut dire cabines à deux lits superposés au lieu de quatre. Et il n'y a que deux cabines sur huit d'occupées  dans notre wagon. Ce qui n'est pas le grand luxe puisque le confort est rudimentaire.

Nous sommes soulagés d'être là après des jours très mouvementés. Nous entreprenons un parcours d'environ 8000 km sans bouger...

Michel se demande comment faire son entraînement quotidien. Heureusement, si les repas sont comme celui de ce midi, on ne risque pas de prendre du poids. Pas de Wi-Fi durant le trajet donc c'est le grand chef en communication MM qui assurera les liaisons sauf en Mongolie où la couverture ne nous est pas possible.


lundi 23 avril 2018

21. Les Ordos, la Chine et Teilhard



Cette dernière étape de retour vers Beijing nous amène à Ordos.

C’est la ville préfecture du territoire des Ordos dans la province autonome de Mongolie intérieure. Ordos renvoie donc à une ville, un territoire, une ethnie et un dialecte mongol. Pour s’en tenir à la ville, les gens de l’extérieur la voit comme une ville fantôme, en raison de l’envergure de sa surface et de ses rues, véritables autoroutes intérieures avec trafic très réduit. Mais ses habitants, qui sont quand même un million, la vivent comme une ville du futur.

En effet, elle est au cœur d’une région vue comme un nouvel Eldorado: 1/3 des réserves de gaz de Chine, 1/6 de charbon, de l’or et des métaux rares. Son taux de croissance est le double de celui du reste de la Chine: 25%.

Elle est à 2h de route du Mausolée de Gengis Khan. Michel y est parti. Je n’ai pas eu ce courage. Car, avant de quitter la région, je m’étais programmé pour esquisser les pistes d’un petit retour réflexif sur la place des Ordos et de la Chine dans la vie et l’œuvre de Teilhard. Je ne suis un spécialiste ni du pays ni de l’homme. Pour moi, comme pour beaucoup, Teilhard, c’est du chinois! Alors, pendant que le relevé de ses traces dans les Ordos est encore chaud, il faut que j’en profite.

Vouloir m’initier à Teilhard par ce voyage dans les Ordos et ce petit tour de l’hémisphère nord peut paraître une idée étrange. Elle l’est en effet, car son sens ultime m’échappe. Mais il me semble qu’il pointe plus vers un sens futur que vers une fixation à un passé dépassé. C’est en Chine que la carrière de paléontologue de Teilhard a vraiment pris racine. Et ces racines ont nourri ses percées occidentales comme théologien de l’évolution créatrice et comme prophète d’une mystique cosmique. C’est cette dernière percée qui m’a fait venir gratter quelques racines dans les Ordos.

Heureusement, je ne suis pas le seul. C’est le titre d’un chapitre d’un livre récent de Charlotte Jousseaume qui a confirmé l’intuition née à la Tierra del Fuego. Dans son Quatuor mystique (2017), le chapitre 2 concernant Teilhard s’intitule: « Ton visage enfoui. Chine. Mongolie intérieure. Désert des Ordos, été 1923. »

Ensuite, c’est l’ouvrage de Édith de la Héronnière,
Teilhard de Chardin: une mystique de la traversée (2003), qui m’aide le plus à comprendre cette piste. Elle consacre 5 chapitres sur 12 à l’influence écoformatrice de la Chine sur cette lente montée de ce qu’elle appelle une mystique de la traversée. « Sa pensée à été marquée au fer rouge des grandes solitudes d’Asie centrale... Une osmose s’est produite entre ces géographies illimitées et l’envergure d’une réflexion passionnée sur le monde » (p74).

Teilhard lui-même le reconnaît: « La Chine a été la chance de ma vie. Par son immensité, par l’énormité de ses dimensions, elle a contribué à élargir ma pensée, à l’élever, jusqu’à l’échelle planétaire » (p 204). C’est là qu’est né le terme de noosphère, « cette enveloppe pensante de la terre » (p.96). Et cette « via tertia » d’une voie de la traversée, du passage « qui consiste pour l’homme à passer par le multiple dont il ne se libère qu’en le libérant avec lui. C’est là toute la spiritualité de l’Incarnation qui apparaît dans ses formidables potentialités » (p.140).

Elle rejoint la voie du Tao: « Un petit taoïste se retire dans la montagne, mais un grand vit dans le monde ». Et elle lui ajoute la notion de traversée, de dépassement, de passage transformateur, même de la mort:  « Le Ciel ne s’oppose pas à la Terre; mais il naît de la conquête et de la transformation de la Terre » (p140).

« J’aimerais mourir le jour de la Résurrection », souhaitait-il peu de temps avant que ça ne se passe. Ça c’est passé le jour de Pâques, 1955, le jour qui fête le grand passage, la grande traversée transformatrice (p.264). Il est enterré près de New York, où ça s’est passé: à St-Andrews-on-Hudson.

Avec Michel, on projette d’y aller au retour.

Dans cette exploration très terre à terre d’un « visage enfoui », me remonte mon passage cet automne à Sarcenat, près d’Orcines et de Clermont-Ferrand, où Pierre est né. Ce passage extrêmement rapide avait été provoqué par la mort d’un fils de grands amis: Edgar. Edgar, merci d’être là avec moi, à Ordos.

L’anagramme de Teilhard de Chardin en chinois signifie: Vertu de l’Aube (p.63). L’aube qui annonce le grand soleil. C’est la voie que me semble actualiser avec la racine chinoise et des Ordos, ce prophète des temps postmodernes. Merci à toutes et tous qui aident un vieux forgeron de la formation (Abels-Eber, 2009) à s’y initier.

dimanche 22 avril 2018

20. Salut au Fleuve Jaune


Ce dernier jour libre avant de revenir à Beijing pour prendre le transmongolien a été consacré à saluer le Fleuve Jaune. On a dû quand même faire plus de 100 km, mais c’était à l’opposé d’hier. Cela nous a permis de découvrir un autre paysage des Ordos, plus aride et raviné, mais avec le même mouvement collectif de reboisement, avec l’aménagement en terrasses impressionnantes.

Le Fleuve Jaune est le deuxième de Chine en longueur: près de 5500 km. Mais le premier en impacts socio-historiques. Avec les énormes charges de limon qu’il charrie, il nourrit depuis des millénaires des communautés importantes, tout en détruisant parfois des villages par ses crues débordantes. On le nomme la mère de la Chine. Mère menacée par une exploitation agricole et industrielle sauvage. Actuellement, c’est un des fleuves chinois et mondiaux les plus pollués.

On est quand même venu le saluer sur ses berges industrielles encombrées, après l’avoir admiré de haut. Il nous a sussuré des parole du Tao:

« Tous les fleuves se jettent à la mer, parce qu’elle est plus basse qu’ils ne sont. L’humilité lui confère sa puissance » (Tao Te King, p.66)

« Dans la cosmologie chinoise, l’eau symbolise l’élément le plus humble, le plus insignifiant en apparence qui, bien que ne résistant à rien, vient pourtant à bout des matières les plus solides » ( A. Cheng, Histoire de la pensée chinoise, p.192).

Dans cette histoire, Anne Cheng montre très précisément comment sa symbolique ambivalente de naissance et de mort a nourri la culture chinoise. C’est sans doute le moment de rappeler que la cosmologie chinoise, à la différence de la nôtre, comporte cinq éléments, dont 3 semblables, la terre, le feu et l’eau, et deux différents, le bois et le fer.

Ce salut au Fleuve Jaune et cette remontée de la symbolique de l’eau ont ré-suscité la présence d’un grand collègue récemment disparu: René Barbier. L’eau était son élément le plus personnel. Dans la dynamique du Groupe de Recherche sur l’Écoformation (Gref), il a coordonné l’ouvrage sur Les eaux écoformatrices (2002).

En plus, c’était un tel amoureux de la Chine que celle-ci s’est personnifiée avec sa dernière compagne. Je me permets de la saluer du Fleuve Jaune, en espérant la connaître un jour.

Salut René et que ton esprit se déploie aussi puissamment et humblement que l’eau.

samedi 21 avril 2018

19. Bubalus wansocki boul & Teilhard: rendez-vous réussi


Ce samedi était le jour crucial, d’atteinte ou non, de notre premier objectif: trouver dans cette steppe des Ordos une trace de Teilhard y ayant écrit en 1923 un texte mystique historique, La messe sur le monde. Un endroit avec une stèle avait été identifié par notre ami Shuwshiow: Salawusu. Ce premier repérage avait permis de choisir Yulin, la ville la plus proche, mais quand même à plus de 100km. Et elle ne figure pas sur mon guide touristique. Ce n’est que voilà 2 jours que notre routeuse de Montréal, Mme Carrier, a pu nous assurer d’un chauffeur et d’un traducteur. Ils nous attendent ce matin à 7h30. On pensait le pari gagné.

Trois heures après, on s’aperçoit que Salawusu est une municipalité rurale très étendue et que là où nos amis chinois nous conduisent est un site commémorant une bataille. Ils n’ont jamais entendu parler de Teilhard. Et traduire son nom pose déjà tout un problème. Mais on est dans un site fluvial encaissé qui rappelle des souvenirs. Pour nous, ce doit être la rivière Shara-Ousso-Gol. Pas évident pour nos amis.

Tout ce qui ressemble de loin à une stèle nous attire: un petit puits, une grosse pierre. Notre chauffeur-guide rencontre un paysan qui en connaît un autre s’intéressant aux vieilles pierres. Il faut le trouver. En plus, ils parlent mongole, langue que ne comprennent pas
nos chinois. Cette piste nous conduit à une grande stèle panneau commémorant une découverte plus récente. Le doute commence à monter quand un tracteur nous barre la route. Mais son conducteur semble connaître quelque chose. Il monte avec nous dans la voiture. Et miracle, devant un autre panneau, Bubalus wansocki boul & Teilhard, Michel le premier voit le nom de Teilhard et celui de Émile Licent, son compagnon-chercheur. Grande émotion.

Pendant que le chauffeur reconduit l’ami du tracteur, Michel et moi lisons des passages de la partie 3 du texte, Le feu dans le Monde, après avoir réussi à allumer avec le briquet du traducteur un petit cierge de Pâques apporté de Mont-Tremblant, au Québec.

Merci Pierre, de ce rendez-vous réussi. Tu nous as fait un peu expérimenter -si peu par rapport à toi- ce que pouvait être une recherche dans les Ordos.

Et tu nous fais aussi un peu communier cosmiquement au « centre flamboyant de l’Univers » (p.45).




vendredi 20 avril 2018

18. Survol des Ordos


Ce court saut d’avion (une heure) entre Xian et Yulin nous fait survoler un paysage qui devient de plus en plus austère. Il me fait aussi réfléchir sur l’avion comme moyen de transport et internet comme moyen de communication. Deux moyens majeurs de cette première partie de notre tour de l’hémisphère nord. Bientôt le premier sera remplacé par le train.

Ce sont deux moyens aériens qui ont permis une première mise en culture de l’inter orient/occident, et même de l’inter hémisphère nord/sud, grâce à Américo du Brésil. En voyant défiler le paysage de cette Mongolie intérieure, c’est aussi un autre « inter » qui me revenait, réactualisé par une des catégories-clef de la culture chinoise: l’entre-deux terre et ciel à habiter par l’humanité.

En ayant un peu en tête les longues marches dangereuses et solitaires de Pierre Teilhard de Chardin et de ses compagnons de recherche de traces humaines dans ces Ordos alors beaucoup plus désertiques, je me disais que ces deux moyens aériens actuels - l’avion et internet - ouvrent des possibles inédits et inouïs d’un nouvel usage du monde. Apprendre à les utiliser de façon sage et formatrice est sans doute un des enjeux majeurs d’une éducation qui devra être planétaire si on veut construire un avenir viable et durable. Et je trouvais que ces deux moyens instrumentaient bien la culture des « inter » d’une formation permanente tendue entre expérience et conceptualisation, personnalisation, socialisation et écologisation.

Apprendre à utiliser ces deux moyens modernes pour cultiver Les Sources anciennes de recherche de sens, me semble une voie importante pour un usage créateur du monde qui soit à sa hauteur et à celle de nos devanciers et devancières grâce à qui nous sommes ici.

Depuis deux jours me trotte une phrase que Teilhard a écrite ici voilà 95 ans:
« Riche de la sève du Monde, je monte vers l’Esprit qui me sourit au-delà de toute conquête, drapé dans la splendeur concrète de l’Univers. » ( Hymne de l’univers, p. 38)

jeudi 19 avril 2018

17. Dernier jour du trio ensemble en Chine



Même si Américo a déjà visité à Xian, voilà 6 ans, "l’incontournable armée de terre cuite", il nous y accompagne pour cette dernière journée du trio ensemble en Chine.

Il a du mérite, car pour y aller et y entrer, il faut s’immerger dans un flux assez compact de touristes. Mais l’effort est récompensé par une impressionnante vision de statues grandeur nature en argile représentant l’armée du premier empereur à unifier la Chine voilà plus de 2200 ans. La découverte de ce site exceptionnel est récente (1974) et a été faite de façon inopinée par un paysan voulant creuser un puits. C’est même lui qui nous accueille avec une simplicité qui dépasse les stratégies de marketing.

Avant, nous avions été voir le premier site habité de Xian, Banpo. Autre plongée dans la profondeur historique de la Chine qui nous prépare à la rencontre de Salawusu, site préhistorique où Teilhard a découvert des traces paléolithiques du sinanthrope.

La soirée a été consacrée à un premier bilan à chaud de ces jours vécus ensemble. Le premier point qui est ressorti est la synchronicité des raisons qui nous ont fait faire ce voyage ensemble: l’édition du livre de l’abbé de Shaolin si par Américo
coïncidant avec le projet de venir en Chine de Michel et Gaston sur les traces de Teilhard dans le désert des Ordos.

Ensuite est ressorti la réussite de l’entrelacement synergique des apprentissages à faire pour d’abord survivre, se maintenir et se développer, pour reprendre des catégories de Michel, dans un environnement particulièrement désorientant termes de langues, d’écriture et de culture. Impossible seuls, sans l’aide d’agent(e) de voyages qui deviennent des amies dans leur exercice professionnel. Merci à Madame Carrier et à Jenny que nous connaissons moins.

Mais aussi sans l’appui quotidien en aval de Françoise et Yann pour tenir le blogue, nous nous sentirions très isolés; nos traces expérientielles resteraient très limitées et disparaîtraient très vite dans la nuit de l’oubli. Merci donc à vous, compagnes et compagnons de ce voyage-formation par dialogue avec le monde.
Ces apprentissages de survie et de maintien assurés par ces compagnes et compagnons de route à distance ont permis aussi de constater des ouvertures communes vers des horizons de transformation personnelle et sociale. Deux bouteilles de vin aidant, des ébauches ont été esquissées et devraient être travaillées par la suite.

Américo prend l’avion demain pour plus de trente heures vers le Brésil. Michel et moi partons pour le désert des Ordos.

mercredi 18 avril 2018

16. À vélo sur les remparts de Xian




Xian est pour nous une étape de transition dans l’atteinte de nos deux objectifs: découvrir Shaolin si et le Wudangshan avec Américo; et approcher Teilhard de Chardin avec le désert des Ordos.

La ville nous fait remonter dans la Chine du Nord, en route vers la Mongolie intérieure où se trouve Yulin, la ville la plus proche de Salawusu, coin perdu où Teilhard a découvert les traces du sinanthrope. Depuis ce matin seulement, notre routeuse de Montréal, Madame Carrier, nous a trouvé in extremis une voiture et un guide pour s’y rendre.Aussi le passage à Xian s’annonce plus serein.

Malgré l’intérêt historique et culturel de la ville qui a été capitale de la Chine pendant 4000 ans,  nous avons réduit ce passage à un jour et deux nuits pour être plus longtemps à Yulin. Nous devions rencontrer un ami de Shuwshiow. Malheureusement, il est absent.

Arrivés à midi, un consensus s’est rapidement établi pour un tour des remparts de la ville à vélo. Ces remparts datent du 14e siècle et forment un rectangle de 14 km autour du centre ville, le dominant et offrant ainsi de magnifiques points de vue. Les vélos se louent sur les remparts eux-mêmes.

Tout frétillants de plaisir anticipé, nous nous y rendons... pour nous faire demander notre âge: interdit au plus de 70 ans. Tricher est un peu difficile, surtout pour moi! On essaie de négocier. Mais la préposée semble intraitable, jusqu’au moment où en arrive un autre, moins formaliste. Il nous fait passer un examen pratique que nous réussissons brillamment. Et ouf, on part pour 2h30 de randonnée.
Le pavage ressemble parfois aux routes de Patagonie. Mais c’est plat, il fait beau et Xian nous offre ces pagodes, immeubles gratte-ciel, rues et plans d’eau.

Après le taïchi de Wudangshan, et l’avion de ce matin, c’est le vélo. Pas le temps de s’ennuyer.


Heureusement, maintenant on sait à peu près se débrouiller pour manger. Mais on va se quitter bientôt, après-demain. Aussi les échanges s’approfondissent encore.

mardi 17 avril 2018

15. Initiation au taïchi


Ce mardi, nous redescendons tôt le matin dans la ville Wudangshan pour la journée d’entraînement au taïchi d’Américo. Il est venu au Wudangshan pour ça, comme à Shaolin pour le kung-fu. Il nous a proposé une heure d’initiation avec son maître. Ce sera cet après-midi.

Ce matin, liberté dans la ville. Liberté qui va susciter, comme constate Michel en fin de matinée, cinq apprentissages basiques de la vie chinoise pour des étrangers.

1- Le premier, retirer de l’argent à un distributeur de billets. Je n’ai pas encore réussi, Michel si. Fort de cet appui, je m’y ré-essaie, même si je n’en ai pas un besoin urgent. Non seulement j’échoue, mais en plus ma carte, elle, ne réussit pas à sortir après quelques essais. Comment la récupérer? Heureusement, nous étions dans une banque qui s’est mobilisée pour l’opération. Mais il a fallu une vérification serrée de mon passeport pour la récupérer.

2- Acheter un carnet papier pour prendre des notes. Trouver l’endroit nous a bien pris une heure, dans le pays, si je ne me trompe, qui a été un des premiers à inventer le papier.

3- Aller au musée de la ville et y entrer. Là-aussi vérification serrée du passeport, mais entrée gratuite. J’y allais à reculons. J’avais tort. Splendide, surtout après avoir expérimenté la complexité du terrain, il permet de la décoder un peu. Voir ne suffit pas pour savoir.

4- Manger avec les ressources de la rue selon un casse-croûte rapide. Pas forcément très conseillé, mais très instructif de la vie quotidienne locale.


5- Mais c’est du cinquième apprentissage de l’après-midi dont nous sommes le plus satisfaits: notre courte initiation au taïchi avec un maître et dans un endroit discret,  absolument pas commercialisé. Une connivence sensible humaine de formateurs a transcendé nos différences, nos ignorances linguistiques et pour nous, notre incompétence dans cet art du mouvement. À continuer?

En tous cas, la graine est jetée et à Wudangshan, la terre d’origine du taïchi.

lundi 16 avril 2018

14. Montée à la Colonne Céleste




Comme Shaolin, les Wudang shan ont leur haut lieu, et même plus haut: 1612 mètres d’altitude au sommet dominant, dont le nom Tianzhu se traduit par Colonne Céleste ou Pic d’Or. C’est aussi un haut lieu du taoïsme avec au sommet un impressionnant Pavillon d’Or se détachant de loin et promettant une vue unique.

Aussi ce matin vers 8h, on s’est lancé à son ascension par un beau temps printanier, en s’insérant dans une petite colonne intergénérationnelle, bon enfant. Étant les seuls occidentaux, on ne passe pas inaperçu, mais les attitudes sont plutôt avenantes. Les plus jeunes demandent des prises de photos avec nous. Et des solidarités silencieuses se nouent progressivement.

Les 5 km de montée sont pavés de façon impeccable, alternant beaucoup de marches avec quelques faux plat. Les regards alternent entre ces marches montées une à une souvent tête baissée par l’effort, et des paysages à couper le souffle, mais qui sont une bonne excuse pour s’arrêter et le retrouver. Les invitations de chaises à porteurs deviennent de plus en plus pressantes au fur et à mesure qu’on avance. Et on ne peut être que fasciné par la force et la résistance de ces hommes.

Mais le plus dur n’a pas été les trois heures de marche sur ce sentier de rêve. Ce sont les trois suivantes compressées à la chinoise dans une file compacte serpentant interminablement dans le dernier kilomètre jusqu’à l’arrivée sur l’étroite plate-forme aérienne. Sans l’attraction du tabernacle doré au centre polarisant ces pèlerins/voyageurs, nous aurions à peine pu voir le paysage. Et Michel n’aurait pas pu déployer son salut cosmique. Il a pu le faire. On est redescendu heureux. Mission accomplie.

dimanche 15 avril 2018

13. Taïchi Hôtel, Parc national des Wudang shan



Ça y est, nous sommes dans la montagne. Et quelle montagne! Avec des sommets et des gorges à pic, mais couvertes d’une végétation dense, type tropicale, avec parfois des cultures en terrasses.

Une heure de pénétration en bus sur une route en lacets remontant une vallée étroite fait un peu imaginer leurs premières explorations voilà plus de deux millénaires. Elles ont dû représenter une aventure physique, sociale et cosmique. Le taoïsme y est né comme expérience éco-culturelle en mouvement, expérience éco-culturelle du mouvement, voie cosmogonique en marche.

En plus, on y arrive un jour fêtant une de ses figures fondatrices, Zhen wu, l’Empereur jaune, divinité suprême des Wudang shan. À son Temple, Nanyan gong, le trio a allumé trois bâtons d’encens, à la demande de Pascal Galvani et en solidarité avec lui. Au début du sentier y menant, on avait demandé de traduire une sentence taoïste gravée sur une stèle: « Le tao créé l’un, l’un fait le deux, le deux fait le trois, le trois fait le tout ». Elle nous avait projetés dans un univers ternaire qui nous est cher.

Un univers paradoxal qui ne se laisse pas pénétrer facilement, comme ces montagnes. En préparation, j’avais essayé de lire, Le Taoïsme, découverte de la voie, de Pierre-Henri de Bruyne, un ami de Shuwshiow, taïwanaise qui a bien voulu nous aider dans cette préparation. En désespoir de terminer cet ouvrage, j’avais envoyé un mot à l’auteur lui signalant ma difficulté. Il m’a répondu: « Le fait que vous ne comprenez pas est un bon indice que vous commencez à comprendre. »

Alors Pascal, encore lui, m’a procuré Lao-Tseu. Et Hervé Breton, un autre collègue initié, Leçon sur Tchouang-Tseu. Les mentionner à cet endroit fait partie de mon apprentissage.




Pendant que Michel et moi suivions sagement notre guide, Américo mobilisait deux maîtres de taïchi pour son perfectionnement. J’espère que le maître de ce blogue pourra intégrer la vidéo réalisée. Sa performance se fait sur un fond symbole du taïchi, symbole dont je pense avoir entrevu la dimension temporelle pouvant rythmer le quotidien. Et il faut que j’aille dormir si je veux la suivre.

Intermède

Quelques commentaires pour Gaston parvenus d'un peu partout:

« Voilà une belle surprise: Gaston n'aura jamais fini de nous étonner. Il poursuit sa quête spirituelle jusqu'au bout du monde! Nous le suivrons dans son périple et ses réflexions.» - Joseph et Monique

« Merci pour le blog, je fais le voyage en imagination; je ne savais pas le capter; je vais l'enregistrer et demander du secours à une étudiante. biz. » - Françoise T.

« Je souhaite à Gaston une excellente voyage. » - Lucia O.

« MERCI BEAUCOUP! Nous suivons, avec le plus chaleureux intérêt, le récit de Gaston. Affectueuses pensées. » - Brigitte et Francis

« Un grand merci de m'avoir partagé ce blog de Gaston. On est chanceux de pouvoir suivre ses pas en Chine. » - 楊淑秀

« J’ai commencé à suivre l’expédition de Gaston: lien magnifique, que je me permets aussi de faire suivre à Brigitte, notre star parisienne. Plein de souhaits de découvertes pour Gaston avec mon amitié. » - Geneviève

« Alors l'oiseau voyageur est parti à Pékin. Je vais essayer de suivre ses pérégrinations sur son blog avec plus de détails. Bravo à lui d'être encore aussi entreprenant. En tous cas Ertugrul et moi lui souhaitons un bon voyage et de belles rencontres. Amicales pensées et bon vent. » - Monique A.

« Tous nos vœux pour ce voyage que nous souhaitons rempli de beauté. » - Isabelle F.

« Un grand merci pour ce lien qui me permet de participer aux tribulations de Gaston! Quel impénitent voyageur et quel magnifique périple, je suis époustouflée!!! De mon côté, j'irai tranquillement à Wroclaw à partir de Nantes (avec 3 avions, quand même...) - si nos grèves habituelles le veulent bien… » - Martine L. 

« Nous suivrons le voyage de Gaston grâce à Yann dans ce pays lointain qu'est la Chine. » - Carmen P.

« J’ai déjà lu le blog de Gaston. Ça promet d’être vraiment intéressant. La bibliogaphie qu’il mentionne est déjà fascinante. » - Thérèse D.

« Excellent voyage en Chine. Américo t’attend avec patience dans son beau temple Shao Lin. À bientôt j’espère. Un voyage prévu au Brésil? » - Patrick P.

samedi 14 avril 2018

12. Wudang shan


Après Shaolin, haut lieu fondateur du bouddhisme zen chinois, les racines taoïstes de Wudang shan l’ont fait isoler comme deuxième étape-clé du voyage par notre petit groupe de trois qui s’y retrouve ce samedi soir.

Gaston, Américo et Michel.
Michel y est arrivé hier soir par avion en provenance de Beijing. Américo et moi le rejoignons par un service auto venant de Shaolin.  Six heures de parcours sur une magnifique autoroute traversant les provinces du Hénan, du Hunan et du Hubei nous ont fait découvrir une campagne verdoyante et fleurie de polyculture impeccable, parsemée d’habitats dispersés.

Les deux dernières provinces sont les plus à l’ouest de la Chine du Centre. Les terres fertiles du Hunan en ont fait une terre agricole importante, riche en culture, même politique. C’est la terre natale de Mao Zedong. Et la Longue Marche de 1934-35 y a débuté. Le Hubei, où se trouve Wudang shan, est plus montagneux,  comme l’indique shan qui veut dire montagne. Mais nous le verrons demain.

Culottes fendues
Pour cette fin de journée, ce sont les grandes retrouvailles pour Michel et Gaston, et la prise de connaissance réciproque pour Américo et Michel. Le courant a l’air de bien passer. Michel, qui a exploré la ville et s’est déjà fait des amis, nous entraîne sur la place centrale où règne une ambiance festive bon enfant. Un orchestre de jeunes handicapés chante et fait danser. Et je découvre fasciné, les culottes fendues des bébés apprentis marcheurs qui ainsi n’ont pas besoin de couches.

Mais nous, nous avons besoin de nous coucher pas trop tard, car demain nous partons tôt dans la montagne. Il faut quand même manger, le petit-déjeuner est loin. Qu’allons-nous trouver? Car manger reste encore une aventure. Très nouvelle et très agréable ce soir. Même Américo, le plus chinois de nous trois, ne connaissait pas. Sans l’aide de voisins de table pas sûr qu’on ait réussi. On en a déduit que chaque province avait ses spécialités. À suivre.